Le piège ethnique

Le piège ethnique

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Revenu au Rwanda qui l’avait vu naître après trente ans d’exil et le génocide d’un million de Tutsi, l’auteur décrit magistralement la société prise dans l’étau du « piège ethnique ».

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Le 6 avril 1994, vers dix heures et demie du soir, j’allais me coucher lorsque je reçu un coup de fil de mon frère Joseph de Toronto. Le président Habyarimana vient de mourir dans un accident d’avion me dit-il.

Et de ce moment-là, le Rwanda, jusqu’ici tapi au fond de mes souvenirs d’enfance, resurgit brusquement : ma vie ne sera plus jamais la même, jamais. Après les événements sanglants qui suivirent la mort du président, je me désintéressais de tout. Mes journées ne consistaient plus qu’à guetter les bulletins d’information à la radio toutes les heures. Je ne supportais plus les papotages des soirées parisiennes.

Je me sentais inutile, impuissant. Je croyais voir, dans les épouvantables photos de presse, les corps mutilés de parents que je n’ai jamais connus : les tantes, les oncles et cousins restés là-bas.

Les images télévisées ne servaient qu’à perturber plus encore mon sommeil agité, à tel point que je passais mes journées dans une sorte de transe. Les tentatives de créations romanesques qui jusqu’ici constituaient mon quotidien, m’apparurent dès lors dérisoires, ridicules.

Mes prétentions littéraires étaient désormais fixées. Le Rwanda deviendrait l’unique thème de mes écrits.

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Nous entrâmes dans le jardin d’une villa en briques, réquisitionnée par la guérilla. Il était midi. Rassemblés dans un salon dégarni autour de l’inévitable transistor, tous les pensionnaires de la maison écoutaient le célèbre indicatif musical de la BBC World Service. La nouvelle fut annoncée : Kigali était tombée ! Une atmosphère de jubilation s’empara de toute la maison puis se succédèrent une série d’embrassades. A l’extérieur, des gens poussaient des cris de joie.

Assiégées pendant plus de deux mois par le FPR, les Forces armées rwandaises (FAR) et les milices hutues avaient finalement fui Kigali, se repliant vers Gisenyi, à la frontière zaïroise et entraînant à leur suite la majorité de la population hutue.

A présent, les murs de la chapelle étaient éclaboussés jusqu’au plafond de sang bruni ainsi que de morceaux flétris de chair humaine. L’hémoglobine se concentrait en flaques plus épaisses autour de l’autel, comme si, lors de leur tentative de fuite, les victimes s’étaient blotties derrière. Sur les bancs et les murs barbouillés d’un sang roux et épais, se dessinaient des empreintes de main qui semblaient avoir griffé le vide dans une dernière tentative pour s’accrocher à la vie. Le sol était jonché de vêtements tachés de sang raidi par le temps et de chaussures dépareillées.

Près de l’endroit où je me trouvais, gisait une statuette de la Vierge ensanglantée et décapitée. Quelqu’un lui avait intentionnellement tranché la tête, laissant des empreintes rouges sur son cou. Je ne suis pas du tout croyant, mais dans la petite chapelle lugubre, cette profanation me parut si inutile, si révoltante.

Un acte de haine pour la haine.

Cette statuette était le symbole même de la haine sanguinaire dans laquelle le Rwanda a sombré pendant trois mois. Il m’était difficile de concevoir qu’on ait pu trouver le temps et la colère suffisante pour s’en prendre à un objet après avoir abattu tant d’êtres humains. On aurait cru à un photo-montage destiné à être publié dans un quotidien occidental.

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Une jolie fille d’une vingtaine d’années désirait que nous l’emmenions à Kampala. Les quarante-deux membres de sa famille avaient été massacrés et elle voulait simplement quitter le Rwanda. Je lui demandais qui elle connaissait à Kampala.

- Personne, mais je trouverai du travail, n’importe lequel, je deviendrai ta bonne.

- Mais moi, je ne vis pas à Kampala, je ne pourrai jamais t’emmener à Paris.

- Je ne pourrai jamais vivre là où on été massacrés mes parents et de toute façon, notre maison a été complètement rasée, ajouta-t-elle d’un air désespéré. Maintenant, je ne suis pas seulement orpheline mais aussi sans abri. S’il te plaît, emmène-moi en France avec toi, je serai ta bonne.

Les aisselles de sa chemisette étaient maculées de transpiration, cette situation me parut pathétique. Je lui donnais un peu d’argent, faute de pouvoir l’aider autrement mais je m’aperçus vite de mon erreur, car je fus immédiatement accosté par une deuxième femme portant un bébé dans le dos. Plus âgée que la première, elle aussi voulait qu’on l’emmène à Kampala sans y connaître qui que ce soit.

Il n’était pas facile de refuser le voyage à cette victime endimanchée et prête à partir, sa valise en carton cabossée à la main. Elle me supplia, se mit à genoux devant moi sur le trottoir poussiéreux malgré sa belle robe. J’avais honte devant le rassemblement provoqué par le spectacle, je me sentais un monstre de refuser de l’aider. Je n’étais ni préparé ni capable de prendre quelqu’un à ma charge. Là aussi, je m’en sortis en lui donnant de l’argent. Tant de vies brisées se côtoyaient dans cette cour mais j’allais découvrir, dans une école située derrière l’église et transformée en hôpital de fortune, des situations encore plus terribles.

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